Que m’accompagnent koras* et balafong**

(extrait)

O Beauté classique qui n’es point angle, mais ligne élastique élégante élancée !
O visage classique ! depuis le front bombé sous la forêt de senteurs et les yeux larges obliques jusqu’à la baie gracieuse du menton et
L’élan fougueux des collines jumelles ! O courbes de douceur visage mélodique !
O ma Lionne ma Beauté noire, ma Nuit ma Noire ma Nue !
Ah ! que de fois as-tu fait battre mon cœur comme le léopard indompté dans sa cage étroite.
Nuit qui me délivres des raisons des salons des sophismes, des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés
Nuit qui fonds toutes mes contradictions, toutes contradictions dans l’unité première de ta négritude
Reçois l’enfant toujours enfant, que douze ans d’errances n’ont pas vieilli
Je n’amène d’Europe que cette enfant amie, la clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes.

Château-Gontier, octobre-décembre 1939

Léopold Sédar Senghor, Chants d’ombre, 1945
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* Instrument noble à cordes et caisse de résonance.
** Sorte de xylophone fabriqué avec des matériaux naturels qui sert généralement à accompagner les épopées et chants de louange.