Il a plu

Il a plu toute la nuit
J’ai pensé à toi sous la fulgurance sulfureuse des ténèbres.
La mer bavait sur les brisants des tuiles vertes, la mer meuglante
Sous le tonnerre et la tornade, nous gémissions sous l’Ange de la mort
D’une longue plainte et si douce.

Me voici dans le gouffre du palais sonore
Dans les moiteurs les migraines, comme à Dyilôr* jadis
Ma mère ceignait mes angoisses de feuilles de manioc, les saignait.
A Joal comme autrefois, il y a cette souffrance à respirer, qui colle visqueuse à la passion
Cette fièvre aux entrailles le soir, à l’heure des peurs primordiales.

Je rêve aux rêves de jeunesse.
Mon ami l’Etranger disait la fraîcheur des prés en Septembre
Et les roses de Tinchebray qui s’irisent dans la candeur du matin.

Je rêvais d’une jeune fille au cœur odorant
Et quand elle se fâchait, ou délirait, ses yeux jetaient des éclairs
De soufre, comme toi n’est-ce pas ? comme la nuit d’hivernage.

Léopold Sédar Senghor, Lettres d’hivernage, 1973
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* Village où vécu Senghor durant son enfance, proche de Joal.