(pour deux trompes et un balafong*)

Ecoutez les abois balles des chiens dans les halliers noirs de mon ventre.
Où mes molosses jaunes à gueule de faim ? Seul mon bon fusil ceint de sang sacré.
Je vous siffle d’un cri charmant, chiens de mes bras chiens de mes jambes
Car dans le puits d’un cabaret, j’ai perdu mon cœur à Montmartre.

Ecoutez les abois balles des chiens dans les halliers noirs de mon ventre.
Et il faut retenir mon sang au bout long de sa laisse de cinabre
Le fils de l’Homme fils du Lion, qui rugit dans le dos creux des collines
Incendiant cent villages alentour de sa voix mâle d’Harmattan.

J’irai bondissant par-dessus collines, forçant la peur des vents des steppes
défiant les fleuves-mers, où se noient les corps vierges dans les bas-fonds de leur angoisse.
Or je remonterai le ventre doux des dunes et les cuisses rutilantes du jour
Jusqu’aux gorges enténébrées, où tuer d’un coup bref le faon rayé du rêve.

Léopold Sédar Senghor, Nocturnes, 1961
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* Sorte de xylophone fabriqué avec des matériaux naturels qui sert généralement à accompagner les épopées et chants de louange.