Chants pour Signare*
(pour deux balafongs**)
Elle me force sans jamais répit, à travers les fourrés du Temps.
Me poursuit mon sang noir à travers foule, jusqu’à la clairière où dort la nuit blanche.
Je me retourne parfois dans la rue et revois le palmier souriant sous l’Alizé.
Sa voix me frôle d’un léger coup d’aile, qui va zézayant et je dis
« C’est bien Signare ! » J’ai vu le soleil se coucher dans les yeux bleus d’une négresse blonde.
A Sèvre-Babylone ou Balangar, ambre*** et gongo****, son parfum proche m’a parlé.
Hier à l’église à l’Angélus, ont brillé ses yeux cierges mordorant
Sa peau de bronze. Mon Dieu ! mon Dieu ! mais pourquoi m’arracher mes sens païens qui crient ?
Je ne puis chanter ton plain-chant sans swing aucun ni le danser.
Parfois c’est un nuage un papillon, quelques gouttes de pluie à ma vitre d’ennui.
Elle me force sans répit jamais, à travers les grands espaces du Temps.
Me poursuit mon sang noir, jusqu’au cœur solitaire de la nuit.
Léopold Sédar Senghor, Nocturnes, 1961
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* Mot provenant du portugais senhora, qui désignait autrefois la dame de la bourgeoisie métisse au Sénégal.
** Sorte de xylophone fabriqué avec des matériaux naturels qui sert généralement à accompagner les épopées et chants de louange.
*** Parfum précieux tiré des concrétions intestinales des cachalots recueillies sur la mer. Egalement, résine fossilisée, jaune transparente et dure.
**** Parfum musqué en poudre employé par les femmes sénégalaises.