Chant de printemps
(extrait)
Ecoute mon ami, lointain et sourd, le grondement précoce de la tornade comme un feu roulant de brousse
Et mon sang crie d’angoisse dans l’abandon de ma tête trop lourde livrée aux courants électriques.
Ah ! là-bas l’orage soudain, c’est l’incendie des côtes blanches de la blanche paix de l’Afrique mienne.
Et dans la nuit où tonnent de grandes déchirures de métal
Entends plus près de nous, sur trois cents kilomètres, tous les hurlements des chacals sans lune et les miaulements félins des balles
Entends les rugissement brefs des canons et les barrissements des pachydermes de cent tonnes.
Est-ce l’Afrique encore cette côte mouvente, cet ordre de bataille, cette longue ligne rectiligne, cette ligne d’acier et de feu ?…
Mais entends l’ouragan des aigles-forteresses, les escadres aériennes tirant à pleins sabords
Et foudroyant les capitales dans la seconde de l’éclair.
Et les lourdes locomotives bondissent au-dessus des cathédrales
Et les cités superbes flambent, mais bien plus jaunes mais bien plus sèches qu’herbes de brousse en saison sèche.
Et voici que les hautes tours, orgueil des hommes, tombent comme les géants des forêts avec un bruit de plâtras
Et voici que les édifices de ciment et d’acier fondent comme la cire molle aux pieds de Dieu.
Léopold Sédar Senghor, Hosties noires, 1948