C’est le temps de partir

C’est le temps de partir, que je n’enfonce plus avant mes racines de ficus dans cette terre grasse et molle.
J’entends le bruit picotant des termites qui vident mes jambes de leur jeunesse.
C’est le temps de partir, d’affronter l’angoisse des gares, le vent courbe qui rase les trottoirs dans les gares de Province ouvertes
L’angoisse des départs sans main chaude dans la main.
J’ai soif j’ai soif d’espaces et d’eaux nouvelles, et de boire à l’urne d’un visage nouveau dans le soleil
Et ne m’écartent pas les chambres d’hôtel ni la solitude retentissante des grandes cités.

Est-ce le Printemps – partir ! – cette première sueur nocturne, le réveil dans l’ivresse… l’attente…
J’écoute aérienne – plus bas la batterie des roues sur les rails – la longue trompette qui interroge le ciel.
Ou n’est-ce que le hennissement sifflant de mon sang qui se souvient
Tel un poulain qui se cabre et rue dans l’aurore de Mars ultime ?
C’est le temps de partir.

Voilà bien ton message.
Etait-ce au bal du Printemps que tes yeux ouverts te précédaient ?
Toi si semblable à celle de jadis, avec ton visage sarrasin et ta tête noire qui flamboie comme le sommet de l’Estérel.
Tes compagnes s’écartaient, jours laiteux d’hiver ou colombes sous les flèches d’une déesse.
Ma main reconnut ta main mon genou ton genou, et nous retrouvâmes le rythme premier
Et tu partis. C’est le temps de partir !

Toi si semblable à celle de jadis, avec ton visage sarrasin et ta tête noire qui flamboie comme le sommet de l’Estérel.
Tes compagnes s’écartaient, jours laiteux d’hiver ou colombes sous les flèches d’une déesse.
Ma main reconnut ta main mon genou ton genou, et nous retrouvâmes le rythme premier
Et tu partis. C’est le temps de partir !

Léopold Sédar Senghor,  Chants d’ombre, 1945