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Lac

Frappe vague. Tournoie houle. Sur le rivage, claque.
Une cloche de vent et de lumière retentit.
Tu débordes, lac, et ton éternel fracas
s’étouffe dans l’éboulement du rivage.

Vagabond, bientôt tu t’endormiras derrière quelque colline,
mais en moi tu t’ouvres comme une conque,
et comme au fond d’une combe tu plonges dans mon regard,
m’apportant une lointaine et brumeuse douleur.

Alors je comprends : ta longue absence recommence
et je ne sais combien de fois tu redeviens
ce feu que l’on vole en secret
pour que flambent et le cœur et le sang.

Tu débordes menaçant, bruissant, fulgurant,
et tout ce qui se dérobe en vain devant toi,
se dissipe en ombre, en sable,
en ce sable du rivage qui, avide, t’avale.

Et je pressens déjà l’infinie sécheresse,
la terre muette jonchée d’écorces noires,
auscultant à ta place le craquement des sources
qui dévalent ainsi que de lourdes paroles.

Ô lac, tu débordes et dévastes le rivage.
Cache-toi derrière ta beauté. Revêts la face du cri.
L’eau aura tout rêvé, l’eau aura tout compris.
Frappe vague. Tournoie houle. Lac, claque.

Aco Šopov, Cinérémancien (Гледач во пепелта), 1970
Traduit par Edouard J. Maunick, Anthologie personnelle, 1994