Senghor le passeur*

Hamidou Sall au Colloque « Senghor en toute liberté », Université Saints Cyrille et Méthode, Skopje, 20 mars 2006

Hamidou Sall au Colloque « Senghor en toute liberté », Université Saints Cyrille et Méthode, Skopje, 20 mars 2006

Hamidou Sall, OIF

Puisque nous sommes dans une université, haut lieu où souffle l’esprit et où se construit l’avenir d’un pays, je voudrais, en cette Journée internationale de la Francophonie, vous parler de littérature mais aussi de celui que je considère comme l’un des patriarches de la littérature africaine. 

Et j’ai nommé Léopold Sédar Senghor.

La littérature m’a toujours poussé vers de nouveaux rivages et sur de nouvelles routes, souvent bien loin de mes sentiers habituels, m’ouvrant ainsi à des horizons nouveaux, sur des chemins où j’ai amassé des trésors faits de mots multicolores, de légendes et de récits qui me sont venus du fond des âges après avoir traversé des siècles et des contrées bien éloignées de mon cher Sénégal mais désormais si proches.

C’est cela la formidable magie de la littérature qui, en son expression la plus haute, demeure le lieu et le moyen le plus sûr pour forger les âmes et surtout les âmes des jeunes qui constituent la force vitale de toute nation, la force de demain.

Que d’histoires dites, de récits écrits et de légendes contées à travers le temps ! Dans le temps et dans l’espace, dans la diversité des langues et des cultures, les hommes et les femmes ont pensé, dit et décrit le monde. L’homme a, de tout temps, éprouvé le besoin de raconter pour mieux se raconter.

En ces périodes troubles d’un monde où l’homme s’inquiète, s’interroge et se cherche, en ces périodes de renouvellement douloureux des assises du monde, il s’agit, pour reprendre les mots du poète Léopold Sédar Senghor,  de construire un monde plus humain parce que plus complémentaire dans sa diversité. 

En cette année 2006, en commémorant le centenaire de la naissance de Senghor cet homme d’exception, la Francophonie a voulu inviter la communauté des nations à saluer sa traversée glorieuse de tout un siècle, un siècle dont il a suivi le lourd cheminement en en assumant la charge du politique autant que celle de l’intellectuel et du poète.  

A travers cette célébration, c’est nous tous qui sommes conviés à méditer la parole, la vie et l’œuvre de ce père fondateur de la Francophonie, pionnier infatigable du dialogue des peuples et des cultures.

Persuadés que les rencontres interculturelles sont toujours porteuses des germes d’une prise de conscience durable de l’unité du genre humain dans sa complémentaire et fécondante diversité, nous sommes, mes aînés et moi, Christian Valantin et le Professeur Aloyse Ndiaye, nous sommes venus à vous, le cœur en fête, pour vous apporter  le salut amical et fraternel du Sénégal, ce pays depuis longtemps lié à la Macédoine.

Or donc, nous voici en Macédoine, ici, au cœur de la péninsule balkanique, dans cette belle perle des Balkans, terre de vieille et riche tradition.

Creuset de valeurs culturelles issues d’une longue tradition d’enracinement et d’ouverture, votre beau pays est devenu, au fil du temps, une véritable mosaïque de civilisations, héritiers que vous êtes de la Macédoine antique et des empires romain, byzantin et ottoman.

C’est bien pour tout cela que vous offrez, tant au plan de votre histoire que de votre géographie. Vous êtes assurément le bel exemple d’un pays qui a su tirer avantage de ce que l’on pourrait appeler les violences de l’histoire.

C’est que, sauvegardant votre identité, même aux moments les plus difficiles de votre passé, vous avez toujours résisté à l’assimilation tout en assimilant tous les apports positifs d’une histoire qui vous a souvent et presque toujours, mis au contact de divers peuples.

Ici et maintenant, dans cette Université au nom si évocateur, comment le sénégalais que je suis pourrait-il ne pas penser à une localité non loin d’ici et qui, chaque été, à l’occasion de son Festival international, célèbre la parole poétique, cette parole d’espérance qui habite ceux dont Shelley a dit qu’ils sont les législateurs non reconnus du monde ?

Vous l’avez compris j’ai nommé la belle et attachante Struga et dans le même mouvement, ma pensé est allée vers cette haute et attachante figure qui également nous unit et nous réunit en cette Journée internationale de la Francophonie.

Mais vous le savez, mes chers amis, je ne puis nommer Struga et évoquer Senghor sans passer par le passeur : Aco Šopov.

Mais de lui et de sa relation avec Senghor et mon pays, je parlerai demain.

Ici et maintenant, hic et nunc, ici dans ce sud-est de l’Europe, voici que reflue en moi le souvenir de mes années de jeune lycéen.

Léopold Sédar Senghor était Président de la République du Sénégal. Professeur par sa formation, il tenait le Sénégal comme le professeur tient sa classe

Passeur entre cultures et civilisations, il nous a admirablement préparés à aller vers l’autre tout en restant nous-mêmes.  

Conducteur d’hommes, Senghor a été celui qui a contribué à offrir à son pays, au lendemain de son accession à l’indépendance, un système éducatif qui, refusant le repli sur soi, a su passer tranquillement d’un système issu d’une ère coloniale à un autre système tout en sauvegardant les acquis d’un passé dans tout ce qu’il avait de positif en impulsant une dynamique de réforme qui intégrait les réalités de notre de notre identité et le vécu de notre mémoire.

Senghor, homme d’État et bâtisseur, fut également un homme qui voyait loin. Poète, il était comme ce voyant à la Rimbaud, cet homme conçu à voir et à sentir ce qui est inconnu des autres hommes.

En contribuant à faire de nous des africains fiers de leur africanité, des sénégalais fiers de leur sénégalité, il nous aura offert les moyens d’aller vers ce vaste ailleurs civilisationnel et nous sentir chez nous sous des latitudes différentes des nôtres, dans des cultures diverses et souvent très différentes de celles sous lesquelles nous avons toujours vécu.

Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, je suis reconnaissant à Senghor de m’avoir aidé à rejeter la vision étriquée d’une identité de repli qui m’aurait enfermé dans un sur-place existentiel scandaleux  et meurtrier.

Aujourd’hui, on le voit, à une échelle sans précédent, les cultures se rencontrent et se mélangent. Elles dialoguent et s’enrichissent mutuellement et l’interdépendance transnationale connaît un dynamisme et une ampleur sans précédent. 

Depuis longtemps, en bon pédagogue il nous a aidé à élargir notre perception de la dimension cesse plus multiple de l’identité qui est à l’œuvre dans chaque culture.

Léopold Sédar Senghor était un poète majeur.

Et le poète n’est personne d’autre que cet être simple, ce veilleur attentif,  constamment à l’écoute de son cœur et qui toujours s’émeut devant une nature.

Lorsque dans sa poitrine une amie visiteuse s’agite et chante dans le feu ardent d’une parole à naître, c’est toute une part de lui-même qui nous enchante et nous séduit.

Amie visiteuse ! Mais qui est donc cette amie qui visite le poète ? C’est la muse. 

Permettez-moi de prendre prétexte de l’évocation de la muse pour vous dire que le passeur que nous évoquons, ici et maintenant, était aussi un brillant helléniste qui nous a donné le goût de la mythologie grecque. 

Féru de culture gréco-latine, il nous avait insufflé goût et passion pour ces disciples et, jeunes sénégalais, nous rêvions de Rome et d’Athènes. 

Or donc, ici en Macédoine, me voici à deux pas de la Grèce, de cette vieille Grèce dont les dieux et héros avaient meublé mon enfance, là-bas au loin, dans la brume perdue de mes terres ancestrales. 

Là-bas, au loin, sur ces terres gorgées de soleil, à l’ombre du baobabs et du Kaïcédrat royal de ma terre natale, j’avais compris que quelque chose s’était produit sur ce petit bout de terre qui, d’est en ouest, des îles de la côte ionienne à celles de la mer Egée, a donné à l’occident une part essentielle de sa mémoire. 

* Communication au Colloque international Senghor en toute libertéSkopje, Université Saints Cyrille et Méthode, 20 mars 2006. Le colloque s’est tenu dans le cadre de la célébration de l’Année Senghor en République de Macédoine, organisée par Jasmina Šopova pour le compte de l’OIF.