Elégie pour la reine de Saba

(extrait)

Te voici sous la lampe, sous ta peau qui se moire
Moi à tes pieds, dans la ferveur de mes genoux, devant ma statue de basalte noir, mais de grès rouge :
Ta peau de bronze bleu de nuit bleue sous la lune, ta peau couleur odeur d’huile de palme
Tes aisselles de broussailles qui fument, où je brûle l’encens de mon amour.
Je me rappelle ton corps de sourire et de soie aux caresses de ta tendresse
Hâ ! aux abîmes de l’extase, ton corps de velours de fourrure, la toison de ton vallon sombre à l’ombre du tertre sacré.
Si elle me sourit, je sens fondre mes neiges au soleil d’avril
M’ouvre son cœur, je tombe droit dedans comme l’aigle sur l’agneau tendre.
Tu es mon bois sacré, mon temple tabernacle, tu es mon pont de lianes mon palmier.
Ta taille entre mes coudes, je contemple j’ai traversé mon pont de courbes harmonieuses
Je monte cueillir les fruits fabuleux de mon jardin, car tu es mon échelle de Jacob.
Quand ta bouche odeur de goyave mûre, tes bras m’emprisonnent contre ton cœur et ton râle rythmé
Lors je crée le poème : le monde nouveau dans la joie pascale.
Oui ! elle m’a baisé du baiser de sa bouche
La noire et belle, parmi les filles de Jérusalem.

Léopold Sédar Senghor, Elégies majeures, 1979