Elégie des eaux

(extrait)

Je vous invoque, eaux du Troisième Jour
Eaux murmures des sources, eaux si pures des altitudes, neiges ! eaux des torrents et des cascades
Eaux justes, mais vous eaux de miséricorde, je vous invoque d’un cri rythmé et sans dédit
Eaux des grands fleuves et de la mer plus vaste et de la mer plus faste.
Et toi Soleil toi Lune, qui gouvernez les eaux du mouvement contraire en qui se confond l’Unité
Je vous lamente Eaux lustrales pour l’expiation.
Que la nuit se résolve en son contraire, que la mort renaisse Vie, comme un diamant d’aurore
Comme le Circoncis quand, dévoilée la nuit, se lève le Mâle, Soleil !
Vous aussi Eaux impures, pour que pures soyez sous ma nomination
– Le poème fait transparentes toutes choses rythmées.
eaux des miasmes et des cloaques, vous eaux des capitales, qui charriez tant de douleurs tant de joies tant d’espoirs oh ! tant de rêves avortés
Eaux coulez coulez coulez allez allez à la mer.
Lave le sel toute eau répandue toute eau repentie.

Seigneur, vous m’avez fait Maître-de-langue
Moi fils du traitant qui suis né gris et si chétif
Et ma mère m’a nommé l’Impudent, tant j’offensais la beauté du jour.
Vous m’avez accordé puissance de parole en votre justice inégale
Seigneur, entendez bien ma voix. Pleuve ! il pleut
Et vous avez ouvert de votre bras de foudre les cataractes du pardon.
Il pleut sur New York sur Ndyongolôr sur Ndyalakhâr
Il pleut sur Moscou et sur Pompidou, sur Paris et banlieue, sur Melbourne sur Messine sur Morzine
Il pleut sur l’Inde et sur la Chine – quatre cent mille Chinois sont noyés, douze millions de Chinois sont sauvés, les bons et les méchants
Pleut sur le Sahara et sur le Middle West, sur le désert sur les terres à blé sur les terres à riz
Sur les têtes de chaume et sur les têtes de laine.
Et renaît la Vie couleur de présence

Léopold Sédar Senghor, Nocturnes, 1961